La Peste

La Peste Résumé et Analyse

Tout le monde à Oran partage à présent la même peur et la même expérience de l'exil. Certains ne sont pas préparés, surtout lorsqu'ils réalisent que la ville est bouclée, qu'ils ne peuvent en sortir et que ceux qu'ils aiment ne peuvent y entrer. Du fait du risque de contamination, les lettres sont interdites. Les télégrammes deviennent alors monnaie courante. Malheureusement, les messages échangés sont de plus en plus banals. L'absence de communication régulière est épuisante.

Certains n'aiment pas les personnes avec qui ils sont en quarantaine, tandis que d'autres réalisent à quel point les membres de leur famille, autrefois négligés, leur sont chers. La peste apporte la lassitude, tout le contraire de l’activité et des affaires qui caractérisaient autrefois la ville. Elle suscite également un sentiment de déracinement, comme s'il y avait un vide. Les gens attendent et regardent, par hasard, si un train arrive, mais il n'y en a jamais. Ils retournent alors tristement dans leur prison.

Ce qui rend l'exil encore plus difficile, c'est de ne pas savoir quand il prendra fin. Certains fixent une date dans leur esprit, mais doivent sans cesse la repousser. Ils tombent alors dans le découragement et ont l'impression qu’ils ne pourront jamais tenir. Cependant, ils parviennent à sortir de ce désespoir. La vie est terne et lente ; les habitants d'Oran “flottaient plutôt qu’ils ne vivaient, abandonnés à des jours sans direction et des souvenirs stériles” (p. 72). Ils vivent “avec une mémoire qui ne sert à rien” (p. 72), car le passé est teinté de regrets, le présent est insupportable et l'avenir est incertain.

L'exil est encore plus lourd à porter pour ceux qui n'habitent pas Oran mais qui y ont été surpris par la peste. Ces personnes errent dans les rues, perdues dans leurs pensées. Ceux qui sont séparés de leurs amants se rendent compte qu'ils ont du mal à évoquer leurs visages, ce qui ajoute à leur détresse. L’impression d'être abandonné renforce le sentiment d'impuissance. Le soleil et la pluie régissent les humeurs et les caprices de chacun. Personne ne peut compter sur le réconfort de ses voisins et la communication semble défaillante. Personne ne parle exactement de la même chose. Le langage ne suffit pas à traduire la totalité du chagrin et du désespoir ; on ne peut utiliser que des phrases banales et ordinaires.

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Oran est complètement coupée du monde, y compris sur le plan commercial. Le port et les boulevards sont calmes. Malgré ces preuves de la présence de la peste, les habitants ont “apparemment du mal à comprendre ce qui leur arrivait” (p. 76). Ils sont inquiets et irrités, et tendent à blâmer les autorités. Le nombre de morts est au-delà de leur compréhension.

Les gens continuent à fréquenter les cafés pendant un certain temps, mais à l'approche de la semaine de prières, la situation devient de plus en plus critique. La circulation et l'approvisionnement en nourriture sont plus strictement contrôlés, l'électricité est réduite, le gaz est rationné et de nombreux magasins commencent à fermer. Pendant un temps, les rues, les cinémas et les bars sont plus fréquentés, comme pendant les vacances. Les changements sont si rapides qu’il est difficile de penser qu'ils seront permanents. Chacun continue donc à se concentrer sur ses propres sentiments.

Cottard, comme toujours, raconte de nombreuses anecdotes sur les personnes qu'il connaît et qui sont touchées par la maladie. Lui-même est en forme, assure-t-il, et de bonne humeur. Le même jour, Grand parle de lui à Rieux, qui devient volubile pour la première fois lorsque Grand lui montre une photo de Mme Rieux. Lorsque Rieux dit qu'elle se trouve dans un sanatorium à l'extérieur de la ville, Grand trouve que c’est une chance. Grand raconte sa propre histoire : il s'est marié jeune et a abandonné ses études pour travailler. La dissolution de son mariage est due au silence croissant entre les époux, à sa propre distraction et à la fatigue de Jeanne. Elle l'a quitté et il ne cesse de penser à elle.

Plus tard dans la soirée, Rieux se rend à l'hôpital et, en sortant, il rencontre Rambert. Ils échangent des plaisanteries et Rambert demande à Rieux s’il peut l'aider: il a laissé sa femme à Paris, elle lui manque désespérément et il a besoin de quitter Oran. Sa présence ici est fortuite et il espère que Rieux pourra lui donner un certificat attestant qu'il n'a pas la peste afin qu'il puisse essayer de partir.

Rieux est compréhensif mais ne peut rien faire, ce que Rambert comprend malgré sa frustration. Il affirme qu'il trouvera un moyen de partir d'une manière ou d'une autre, et s'en va rapidement à l'hôtel où il loge. Il réfléchit au commentaire du jeune homme selon lequel Rieux vit dans un monde d'abstraction, et décide que oui, “il y avait dans le malheur une part d’abstraction et d’irréalité” (p. 84). Il a une routine minutieuse, voit sans cesse des patients atteints de la peste, fait ses rondes habituelles et s'effondre presque de fatigue. Les familles des malades l'épuisent avec leurs supplications, leurs cris et leurs protestations alors qu'on leur enlève des êtres chers. Aussi tragique qu’elle puisse être, cette routine est aussi monotone. Rieux réalise qu’il y a une “difficile indifférence qui commençait à l’emplir” (p. 87). Il a le sentiment de ne plus ressentir aucune pitié, car elle ne lui est pas utile. Cette absence d’empathie rend ses journées plus faciles.

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Le premier mois de la peste se termine par une accalmie, suivie d’une terrible reprise de l’épidémie. Le père Paneloux, un prêtre jésuite, prononce un sermon dramatique. Les autorités ecclésiastiques utilisent leurs propres armes contre le fléau et organisent une semaine de prières collectives. Bien que les habitants d'Oran ne soient pas particulièrement pieux, ils sont nombreux à participer à ces événements. Ils sont prêts à changer légèrement leur quotidien et à faire preuve d’une nouvelle dévotion, mais ils sont persuadés qu'eux-mêmes et leurs familles seront épargnés. La peste ne leur apparaît pas encore comme “la forme même de leur vie” (p. 90).

Le jour où le père Paneloux prend la chaire, il pleut violemment et il y a une forte humidité. La cathédrale est chaude, étouffante et silencieuse. Paneloux est trapu et de taille moyenne, a des joues roses et des lunettes à monture d'acier, et parle d'une voix impressionnante. Il commence à expliquer que la peste vient de Dieu. Sans ménagement, il proclame que les gens pensent que Dieu leur pardonnera toujours. Cependant, Paneloux les exhorte à réfléchir sérieusement pour réaliser que cette même peste “qui vous meurtrit, [elle] vous élève et vous montre la voie” (94). Il prononce des paroles de consolation, puis ajoute quelque mots provenant d’une vieille chronique sur la peste noire, à propos de l’importance d’envoyer une prière d'amour même au milieu des ténèbres.

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Il est difficile de dire si le sermon affecte les gens : certains ont l'impression d'être punis, d'autres vaquent à leurs occupations comme si de rien n'était, d'autres encore tentent de s'échapper de la ville. Ces derniers sont contraints à des actes téméraires parce qu'ils sont considérés comme des criminels. La panique se répand à Oran et les exemples de folie semblent se multiplier. Grand et Rieux se promènent un soir et observent un fou – selon les propres mots de Grand. Tous deux prennent un verre, assis dans un café, tandis que des chuchotements résonnent dans l'air de la nuit. Grand se rassure car il peut se consacrer à son œuvre littéraire. Il confie à Rieux qu'elle doit être impeccable – l'éditeur doit lire le manuscrit et s'émerveiller de sa perfection. Rieux ne dit rien, mais écoute le sinistre murmure de la peste dehors. Les deux hommes quittent le bar et rentrent chez eux à pied. Grand confie à Rieux combien chaque choix de mot dans son écriture est pensé, comment un “mais” et un “et” véhiculent des choses différentes. Il a un peu honte de son emportement mais lorsqu'ils arrivent chez lui, il invite le docteur à entrer pour regarder son manuscrit.

A l'intérieur, Rieux se penche sur le manuscrit et demande à Grand de le lui lire. Grand est à la fois gêné et heureux, et avoue qu'il a beaucoup de mal avec la première phrase (qui est tout ce qu'il a réellement écrit). Il la lit : “Par une belle matinée du mois de mai, une élégante amazone parcourait, sur une superbe jument alezane, les allées fleuries du Bois de Boulogne.” (p. 99). Il demande à Rieux ce qu'il en pense, et Rieux répond qu'il aimerait en savoir plus. Mais il n'y a rien de plus et Grand s'inquiète du fait que ce n'est qu'un brouillon. Il n'est pas à la hauteur et ne pourra jamais donner le manuscrit en l’état. Soudain, ils entendent des bruits de pas et voient deux hommes qui tentent d'atteindre les portes. De nombreux habitants de la ville essaient de s'échapper le soir, ce qui déclenche parfois des violences.

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Rambert essaie toujours de sortir et s’entretient régulièrement avec les autorités, qui refusent d'admettre que le cas du jeune homme est spécial. Il rencontre des fonctionnaires surchargés de travail, des menteurs, des fripouilles, des rabatteurs, des gens trop occupés et trop importants, etc. Tout cela lui permet de ne pas penser à la peste pendant un certain temps mais tout espoir de libération officielle finit par s'évanouir. Il tombe alors dans une léthargie intense. Il erre, lisant les journaux dans l'espoir d'une bonne nouvelle et ressemblant à “une ombre perdue” (104). Il se rend à la gare même si aucun train ne passe. Avec Rieux, il évoque Paris, qu'il associe à sa femme.

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Après la pluie diluvienne du jour du sermon du père Paneloux, la chaleur s'abat sur la ville et le découragement s'installe. La police fait face à l'agitation et à la violence au fur et à mesure que le mécontentement monte parmi les citoyens. De nouvelles règles sont édictées, criminalisant les tentatives de quitter la ville. Les patrouilles se multiplient dans les rues. La peur que la chaleur aggrave l’épidémie se renforce avec l’arrivée de l’été. Alors que les beaux jours apportent habituellement la détente et le bonheur, il n’y a à présent plus rien à attendre – “le soleil de la peste éteignait toutes les couleurs et faisait fuir toutes les joies” (p. 108).

Tarrou conserve ses notes des jours qui passent. Il explique que les pastilles à la menthe ont disparu parce que les gens pensent qu'elles limitent la contagion. Le vieil homme se désole de la disparition des chats sur lesquels cracher. Le directeur de l'hôtel se lamente car le tourisme est ruiné. M. Othon dit à Tarrou que sa femme est en quarantaine mais ne change pas ses propres habitudes. Tarrou pense que les sermons prennent leur sens au début et à la fin d’une épidémie, mais que pendant, seul le silence apporte la vérité. Il évoque aussi la visite au malade asthmatique de Rieux, un homme confiné chez lui par choix, qui vit une existence routinière et se désintéresse joyeusement de tout.

Tarrou note également qu’au lever du jour, les victimes de la nuit et les cris des nouveaux morts se taisent ; c'est comme si la peste reprenait son souffle. Un nouveau journal, Le Courrier de l’Épidémie, est créé pour informer les habitants. Il devient rapidement un moyen de promouvoir “de nouveaux produits, infaillibles pour prévenir la peste” (^. 113). Les gens commencent à faire tout pour éviter les autres, ne restant par exemple que dans leur voiture. Certaines personnes atténuent leur désespoir en achetant de manière compulsive, ce qui montre “cette passion de vivre qui croît au sein des grands malheurs” (p. 114). Les gens vont encore au restaurant (mais essuient tout assidûment) et dépensent sans compter. Le soir, quand l'air est un peu plus frais, l'humeur s'améliore quelque peu.

Au début de l’épidémie, explique Tarrou, les gens se raccrochaient à la religion pour trouver du réconfort. Maintenant que le fléau est bien ancré, ils semblent plus enclins à rechercher le plaisir et à s'y adonner. Tarrou agit de même bien que la mort ne signifie rien pour lui.

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Rieux est heureux d'avoir sa mère auprès de lui mais le reste de son existence est pesante. Le taux de mortalité augmente, le deuxième sérum de Paris est moins efficace que le premier et la peste finit par toucher les poumons des malades.

Tarrou rend visite à Rieux et entre dans le vif du sujet. Il lui dit que d’ici quinze à trente jours, les moyens ne seront plus suffisants. Le service sanitaire est inefficace. Rieux est tout à fait d'accord. Tarrou a pensé à une sorte de mobilisation des hommes en bonne santé pour aider. Rieux lui rappelle que cela a été proposé mais que la réponse n’a pas été convaincante. Tarrou lui assure qu'il a un plan pour que des équipes bénévoles soient prêtes rapidement. Il demande un soutien officiel à Rieux, qui le lui accorde tout en lui demandant s’il a bien évalué les risques de ce dispositif.

Tarrou réfléchit un instant et demande à Rieux ce qu'il a pensé du sermon de Paneloux: pense-t-il que la peste peut avoir un bon côté car elle ouvre les yeux des hommes? Rieux s'impatiente et répond que tous les maux du monde peuvent faire cela, mais qu’au vu de la misère suscitée par la peste, personne ne voit les choses ainsi. Il demande alors à nouveau à Tarrou de peser les conséquences de sa proposition. Tarrou reste silencieux et demande à Rieux s’il croit en Dieu. Rieux soupire qu'il ne sait pas ce que cela signifie. Paneloux et lui pensent différemment, car ce dernier est un universitaire qui n’a pas idée de la souffrance que Rieux voit de près.

Rieux se lève et dit qu'ils devraient laisser tomber le sujet. Tarrou accepte mais lui demande pourquoi il fait preuve d'une telle dévotion s'il ne croit pas en Dieu. Rieux répond que personne ne croit réellement en un Dieu tout-puissant et ne s’y dédie entièrement, et lui non plus. Tarrou lui demande pourquoi il fait ce métier. Rieux a envie de se confier à cet homme excentrique qui lui ressemble beaucoup. Il admet qu'il s'y est lancé “abstraitement” au début, mais que cela a changé lorsqu'il a commencé à voir des gens se battre contre la mort. Il se dit qu'il vaut peut-être mieux pour Dieu que les gens refusent de croire en lui et luttent contre la mort. Tarrou comprend que Rieux est conscient que ses victoires contre l’épidémie ne sont que provisoires. Il demande au médecin ce qui lui a appris cela. Rieux répond : “La misère” (p. 121).

Tous deux quittent la maison de Rieux, en route pour un autre endroit. Il est presque onze heures du soir, l'obscurité et le silence règnent dans les rues. Rieux dit à Tarrou de venir demain à l'hôpital pour une injection et lui annonce sans détour que ses chances de survie sont de une sur trois. Tarrou répond en haussant les épaules qu'il y a cent ans, une peste a balayé la Perse et que le seul homme qui a survécu était celui qui lavait les cadavres. Rieux reconnaît qu'ils ne savent rien sur le sujet. Avant de se séparer, Rieux demande à Tarrou pourquoi il s'implique dans cette affaire. Tarrou répond qu'il s'agit de son code moral, et quand Rieux demande quel code, il répond : “La compréhension” (p. 123).

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Le narrateur explique qu'il ne veut pas exagérer l'importance des groupes sanitaires. Il ne croit pas que des actions comme celle-ci se généralisent. Il veut être objectif tout en approuvant l’initiative. Les volontaires s’engagent car c’est la seule chose à faire: la peste touche tout le monde. Bien qu’ils risquent leur vie, ils sont convaincus que c'est un combat auquel ils doivent participer. Pendant que Castel travaille à la fabrication d'un sérum anti-peste, Grand devient en quelque sorte le secrétaire général des équipes de bénévoles. Pour le narrateur, Grand est “le représentant réel de cette vertu tranquille qui animait les formations sanitaires” (p. 126).

Rieux et Tarrou trouvent du réconfort en écoutant Grand parler de son projet littéraire, auquel il se consacre toujours même si la peste fait rage. Il leur décrit ses nouvelles options d’écriture, qui incluent “une belle matinée de mai” plutôt que “mois de mai”. Il décide qu'il aime “pleines de fleurs” au lieu de “fleuries”, mais se décourage ensuite parce qu'il y a trop de génitifs. Grand devient distrait dans son véritable travail alors qu'il s'occupe en parallèle de son projet et des formations sanitaires. Il semble encore plus fatigué que Rieux. Pourtant, il continue à étudier assidûment les statistiques de la peste, mettant à jour ses données qu’il présente sous forme de graphiques et de tableaux. C’est un véritable “héros insignifiant et effacé qui n’avait pour lui qu’un peu de bonté au cœur et un idéal apparemment ridicule” (129). Rieux est conscient de l’effort quotidien de Grand et s’attriste que le soutien et les éloges reçus ne soient pas à la hauteur de son dévouement.

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Rambert se rend compte qu'il n'y a aucun moyen légal de quitter la ville et commence à chercher de nouvelles pistes. Il sonde quelques serveurs dans les cafés, mais cela ne mène nulle part. Un soir, à sa grande chance, il rencontre Cottard chez Rieux et lui confie sa tristesse de ne pouvoir quitter Oran. Cottard est impliqué dans des réseaux de contrebande et gagne beaucoup d'argent. Il dit à Rambert qu’il a eu l’opportunité de partir mais qu’il ne l’a pas saisie car il se plaît ici. Il propose d'aider Rambert à la place.

Cottard invite Rambert à se promener l'après-midi. C'est l'heure de la journée où “la peste se faisait invisible” (132) et “ne se trahissait que par des signes négatifs” (133). Les hommes marchent le long des quais jusqu'à un café. Ils s'assoient et Cottard demande à un petit homme qui s'approche de leur table où se trouve Garcia, car il veut lui faire rencontrer son ami. Le petit homme sourit d'un air entendu et demande si Rambert est aussi dans les affaires. Cottard répond par l'affirmative. Lorsque l'homme s'en va après leur avoir dit de revenir dans la soirée, Rambert demande de quel genre d'affaires il parle. Cottard lui dit sans détours qu’il s’agit de contrebande.

Le soir même, ils reviennent et rencontrent Garcia, qui est brun et bronzé. Cottard lui explique que Rambert a une femme à Paris et qu'il veut s'enfuir. Garcia dit à Cottard, comme si Rambert n'était pas là, que Raoul est son homme et qu'il va se mettre en contact avec lui. Il demande à Rambert de le retrouver au coin de la caserne des douanes dans la ville haute le surlendemain. Rambert remercie Cottard, qui lui assure que ce n'est rien et qu’il l’aidera peut-être aussi un jour, sans en dire plus.

Deux jours plus tard, les deux hommes se rendent à la caserne. En chemin, Rieux et Tarrou, qui roulent dans la voiture de Rieux, s'arrêtent pour les saluer. Quand ils lui demandent s'il veut faire un tour, Rambert répond qu’il a un rendez-vous. Le médecin devine ce qu'il veut dire en le regardant. Un instant plus tard, un magistrat, Monsieur Othon, s'approche d'eux. Les présentations sont faites. Othon demande au médecin si l'épidémie va s'aggraver. Rieux répond qu'il espère que non. Tarrou demande au magistrat si sa charge de travail est plus importante maintenant. Celui-ci répond qu’au contraire, les crimes sont bien moins nombreux.

Après le départ de Rieux et Tarrou, Rambert et Cottard retrouvent Garcia. Ils se retrouvent au milieu d'une foule composée principalement de femmes qui transportent des marchandises de contrebande. Des sentinelles armées gardent la porte. Raoul, un homme fort et bien habillé, s'approche alors. Il dit à Rambert que cela lui coûtera dix mille francs et qu'il doit le rencontrer demain pour déjeuner au restaurant espagnol près du quai. Rambert accepte.

Le lendemain, Rambert arrive au restaurant. Il y a surtout des hommes espagnols et Raoul est assis au fond. Il est accompagné d'un autre homme, mince, mal rasé, au visage équin. Raoul explique que cet homme va le mettre en contact avec deux amis qui vont présenter Rambert aux sentinelles. Cela ne signifie pas qu'il pourra partir tout de suite, mais les contacts seront établis. La conversation est tout d’abord difficile mais lorsque Rambert évoque le football, l'homme au visage de cheval s'illumine et ils se mettent à discuter longuement. Il dit qu'il s'appelle Gonzalès et ils se quittent.

Les deux jours suivants semblent interminables à Rambert. Il rend visite à Rieux, qui évoque le manque de matériel et de personnel. Rambert lui fait part de ses inquiétudes : sa femme vieillit et il doit être auprès d'elle. Tarrou les rejoint et leur apprend que le père Paneloux a accepté de travailler avec eux dans les formations sanitaires. Rieux dit qu'il est heureux que le père Paneloux soit une meilleure personne que le laissait présager son sermon. Tarrou pense que la plupart des gens sont de bonnes personnes, mais qu'il faut leur donner une chance.

Le jour du rendez-vous, Rambert entre dans la cathédrale et y passe quelques minutes. Il sort et voit Gonzalès, qui lui dit que les hommes qu'il devait rencontrer ne sont pas venus. Rambert soupire. Gonzalès propose de se retrouver au même endroit le lendemain. Rambert revient et Gonzalès amène deux jeunes hommes qu'il présente comme Marcel et Louis. Ils semblent être frères. Ils expliquent à Rambert que leur garde dure une semaine et qu’elle commence dans deux jours. Ils doivent guetter la meilleure nuit pour le faire sortir. Il y a d'autres gardes et ils doivent être prudents. Il retourne à son hôtel, où il rencontre Tarrou qui y séjourne également. Rambert l'invite avec Rieux à prendre un verre à l'hôtel à onze heures. Tarrou doute que Rieux accepte, mais les deux hommes arrivent à l’heure convenue. Le bar de l'hôtel est bondé. Ils parlent des formations sanitaires et des projets de Rambert.

Le lendemain, Rambert se rend au restaurant mais ni Gonzalès ni les deux hommes ne se présentent. Il est inconsolable et sent monter en lui le désir d’être avec sa femme. Il va voir Rieux pour lui demander où trouver Cottard. Rieux lui dit de venir demain à dix heures et demie, car Tarrou veut aussi rencontrer Cottard. Le jour suivant, avant l'arrivée de Rambert, les hommes discutent de divers sujets liés à la peste – un malade s’est rétabli – et de la nécessité que les règles soient les mêmes pour tous. Tarrou s'étonne de l'opinion de Cottard à qui la peste convient parfaitement et qui ne voit pas pourquoi il devrait lutter contre l’épidémie. Il se rappelle ensuite que Cottard ne veut pas que l’épidémie se termine parce qu'il serait arrêté. Cottard crie presque en entendant cela et demande à Tarrou qui lui a dit une telle chose. Tarrou, surpris, répond que c’est lui. Il promet à Cottard que Rieux et lui se moquent de ce qu'il a fait, et lui demande de se rasseoir.

Cottard soupire et dit que “c'était” il y a longtemps. Il assure ne pas avoir commis de crime grave et insiste sur le fait que c'était une erreur. Tarrou et Rieux n'insistent pas, mais Tarrou le réprimande gentiment, lui demandant “en souriant, de ne pas propager volontairement le microbe” (p. 147). Cottard proteste qu'il ne ferait jamais cela. Il explique qu’il ne souhaitait pas que survienne l’épidémie mais qu'elle lui a tout de même rendu les choses plus faciles. Rambert entre. Il apprend de Cottard qu'il ne sait pas où est Gonzalès et qu'ils doivent aller au café. Ils s'y rendent le lendemain, laissent un message à Garcia, et le rencontrent le jour suivant. Garcia dit qu'il ne sait pas ce que sont devenus les autres. Rambert se rend compte qu'il va devoir tout recommencer.

Il retrouve Gonzalès, qui lui propose une nouvelle rencontre avec les jeunes gens, mais ils sont introuvables. Tarrou le rencontre à l'hôtel et est frappé par son visage. Rieux et lui rendent ensuite visite à Rambert, qui leur sert à boire et leur dit que les hommes ne viendront pas. Quand ils suggèrent qu'ils vont quand même peut-être venir, Rambert répond avec mépris qu'ils ne comprennent pas que la peste “consiste à recommencer” (p. 149). Il accepte de se joindre à la mobilisation contre la peste mais ne veut pas risquer à nouveau sa vie, après avoir failli mourir pendant la guerre civile espagnole. Il dit qu'il mourra par amour mais pas pour une idée. Rieux répond tranquillement que “l'homme” n'est pas une idée. Rambert, enflammé, dit que si, et qu'ils ont perdu la capacité d'aimer. Rieux, épuisé, dit qu'il a raison, mais qu'il n'y a pas d'héroïsme dans tout cela, seulement de la décence. Lorsque Rambert demande ce que cela signifie, Rieux répond qu'il fait son travail. Rambert se demande s'il a tort de faire passer l'amour avant tout mais Rieux lui répond que non. Rambert dit qu'ils n'ont rien à perdre dans tout ça parce qu'ils ne connaissent pas l’amour. Rieux vide son verre et dit à Tarrou de venir avec lui. Avant de partir, Tarrou se tourne vers Rambert et lui annonce que la femme de Rieux est isolée dans un sanatorium, à cent kilomètres de là. Touché et impressionné, Rambert téléphone à Rieux le lendemain matin et lui demande s'il peut travailler avec lui jusqu'à ce qu'il quitte la ville. Après un bref silence, Rieux accepte avec plaisir.

Analyse

Dans la deuxième partie, les portes d'Oran sont fermées et les gens sont maintenant piégés à l'intérieur, aux prises avec l'inconcevable réalité de la peste. Au début de l’épidémie, ils essaient de s'accrocher à ce qui semble normal – communiquer avec leurs proches, surtout s'ils sont séparés, “circuler dans les rues et (...) s’attabler à la terrasse des cafés” (p. 77), aller au cinéma et, en général, agir comme s'ils étaient en vacances. Même s'ils lisent les nouvelles, “nos concitoyens avaient apparemment du mal à comprendre ce qui leur arrivait” (p. 76). Les changements qu'ils vivent “s’étaient accomplis si rapidement qu’il n’était pas facile de les considérer comme normaux et durables.” (p. 78).

Mais les choses finissent par se tasser. L'oisiveté et la léthargie dominent. À mesure que l'été s'installe et que le taux de mortalité augmente, la ville se ferme encore plus. L’été “n’invitait plus comme auparavant aux fêtes de l’eau et de la chair”, car “le soleil de la peste éteignait toutes les couleurs et faisait fuir toute joie.” (p. 108). Le narrateur mentionne comment le Courrier de l’Épidémie, qui avait pour but “d'informer nos concitoyens, dans un souci de scrupuleuse objectivité, des progrès ou des reculs de la maladie ; (...), de transmettre les directives des autorités” en vint très vite à se limiter aux publications d’annonces “de nouveaux produits, infaillibles pour prévenir la peste.” (p. 113). Et si le peuple ne peut contrôler la maladie elle-même, il peut détourner ses pensées en recherchant le plaisir, en s'habillant somptueusement et en dépensant sans compter.

L'une des idées les plus puissantes de Camus est la relation au temps et à la mémoire. Beaucoup de personnes aiment s'attarder sur le passé mais trouvent que la mémoire “ne sert à rien” et n’a “que le goût du regret” (p. 72). D'autres se tournent vers l'avenir, mais l’incertitude est difficile à vivre. Le futur est en suspens permanent. Il n'y a que le présent, car à la mi-août, “le fléau concernait tout le monde.” (p. 170).

Parmi les commentaires généraux du narrateur sur le peuple dans son ensemble, on retrouve les histoires plus détaillées de certains personnages individuels : Rieux, Tarrou, Rambert, Paneloux, Grand et Cottard. Le critique Eugene Hollahan a fait une étude convaincante de ces personnages principaux, les plaçant sur un spectre allant de l'abstraction à l'imagination. Ces deux termes seront familiers au lecteur attentif du texte, car Rambert accuse Rieux “d'être dans l’abstraction” (84) et Rieux se plaint des directives du préfet qui auraient besoin d’un peu plus d’imagination. L'abstraction est, écrit Hollahan, “un détachement volontaire du lot humain commun”, qui ne peut être surmonté que “par le développement et l'emploi de l'imagination sympathique.”. Lorsqu'une personne s'identifie par l'imagination à la souffrance, elle emprunte la voie de la sympathie et passe “de l'isolement à la communion, du détachement à l'implication.”. L'imagination est ce qui permet à son possesseur de mieux comprendre la réalité, mais “c'est aussi un pouvoir problématique qui peut égarer une personne ou qui, au début, ne convient pas automatiquement à toutes les situations.”.

La première catégorie de personnages est constituée de ceux qui sont complètement détachés, décrits comme “un lot pathétique”. Le concierge ne peut pas regarder la situation des rats d’une manière un tant soit peu réaliste. Le vieux malade asthmatique, rongé par ses habitudes et sa routine, est égoïste et geignard. Cottard cache son passé honteux et se délecte de la souffrance des autres parce qu’elle lui est bénéfique. Il devient contrebandier et profite de la peste. Il est tellement étranger à l'humanité qu'à la fin du roman, il en est exclu car il est devenu fou.

La catégorie suivante est celle des personnages impliqués dans l'humanité, qui “n'ont pas l'attrait vif et sensationnel de ceux qui restent détachés.”. Richard et Castel travaillent consciencieusement, le premier au point de succomber à la peste et le second en se concentrant sur un sérum. Rieux en est le meilleur exemple, car “il ne vacille en aucun cas dans sa lutte contre la peste” et le fait “sans entretenir d'espoirs abstraits de victoire ou de récompense”.

La dernière catégorie est celle des personnes qui se trouvent quelque part au milieu, qui oscillent entre le détachement et l'implication. Il y a Grand, un raté sympathique, empêtré dans sa triste vie et ses tentatives artistiques. Pourtant, il travaille dur dans les formations sanitaires, fait preuve d'une “volonté indomptable de survivre” et prend un nouveau départ avec son manuscrit et son mariage. Paneloux est encore un meilleur exemple. C'est un homme très érudit qui, dans son premier sermon, assurant que la peste est un fléau de Dieu, demande à chacun de faire attention à la façon dont il a péché. Cependant, au cours des mois suivants, il rejoint les formations sanitaires. Témoin de la souffrance des malades, il se rapproche de Rieux et assiste à la mort horrible du petit Othon. Il conserve sa foi sans s’évader entièrement dans la religion. Il prend la difficile décision d'accepter Dieu même si son corps physique dépérit. Il y a aussi Tarrou, “l'intellectuel torturé” qui “exige trop de la vie” et dont le désir d'atteindre la sainteté “indique sa tendance profonde à l'abstraction et à la transcendance”. Il participe à la création des formations sanitaires, assiste Rieux, souffre lui-même, mais “ne parvient jamais à résoudre les préoccupations de son propre esprit pour aller jusqu'au bout du chemin de la sympathie.”. Enfin, Rambert est le personnage dont l'intrigue unifie le roman et représente “la lutte morne entre le désir de bonheur personnel de chaque homme et les abstractions de la peste.”. Il tente initialement de sortir de la ville à tout prix et pense surtout à sa propre femme. Après avoir travaillé dans les formations sanitaires, s'être lié d'amitié avec Rieux et Tarrou et avoir compris le sacrifice d'amour de Rieux, il décide de rester à Oran, choisissant l'engagement plutôt que le détachement.