La Place

La Place Thèmes

La classe sociale

Le thème de la classe sociale est omniprésent dans La Place. La Place vise en effet à raconter et expliquer la distance “de classe” qui s’est créée entre Ernaux et son père. Ernaux décrit tant la perception de la classe par les individus que la mobilité sociale.

Elle évoque tout d’abord son grand-père et son père qui travaillaient dans une ferme. Elle raconte comment son père, au retour de son service militaire, a refusé de revenir à la ferme et est devenu ouvrier. Ce changement, de paysan à ouvrier, est la première étape de la mobilité sociale : “sorti du premier cercle”. Elle décrit ensuite comment ses parents ont acquis un commerce, travaillant dur pour ne pas “retomber ouvriers”, pour “paraître plus commerçants qu’ouvriers”. Les parents, déjà, ne vivent plus dans leur milieu social d’origine.

Surtout, Ernaux décrit en filigrane sa propre expérience de transfuge de classe, son passage d’un milieu ouvrier ou de petits commerçants à celui de la sphère bourgeoise. Elle explique sa honte, son sentiment de déracinement mais aussi son impression d’avoir trahi son milieu d’origine. Ces contradictions apparaissent dans la citation de Jean Genet placée en ouverture du livre : “je hasarde une explication : écrire c’est le dernier recours quand on a trahi.”. Ernaux décrit ainsi comment la classe sociale façonne notre perception de la réalité et nos expériences de vie.

L’écriture

Dès les premières pages, Annie Ernaux nous explique son processus d’écriture et le but de La Place. Au cours du livre, elle effectue de nombreux aller-retours entre son sujet initial – la vie de son père et son rapport à lui – et la description de sa manière d’écrire. Ernaux annonce ainsi que “le roman est impossible” et refuse d’adopter un style artistique qui ferait appel à la passion et à l’émotion. Elle veut rassembler “les paroles, les gestes, les goûts” au travers de ce qu’elle appelle “l’écriture plate”, une écriture qui sera à même de raconter la réalité de la vie de son père et de sa famille. Son livre se veut une restitution la plus fidèle possible de cette vie, vue de l’intérieur. Annie Ernaux décide ici d’adopter un langage dépouillé, descriptif, hors des attentes académiques. Une telle modalité d’écriture fait partie de sa volonté de raconter la distance qui est apparue entre son père et elle-même, qu’elle décrit comme “une distance de classe”, lorsqu’elle a décidé de poursuivre des études universitaires.

La honte

Peu après que son père soit devenu le premier de sa famille à être propriétaire, Annie Ernaux décrit la peur que celui-ci éprouve de ne pas agir conformément aux normes sociales, et la honte de ne pas connaître les codes d’une classe sociale différente de celle dont il est issu. Elle décrit comment notre société classiste produit cette peur de la honte, mais aussi comment cette peur peut être réappropriée. Ernaux décrit ainsi les livres et les films comiques de l’époque moquant “les paysans se compor[tant] de travers à la ville”.

La honte est une émotion partagée par les transfuges de classe, comme son père, mais aussi elle-même. Ernaux explique la honte que peuvent éprouver ses parents parce qu’elle continue d’étudier, à dix-sept ans, au lieu de travailler. La honte qu’on la juge “trop privilégiée”. Elle raconte aussi sa propre honte, qu’elle éprouve envers son nouveau milieu, dont les idées lui paraissent “ridicules”, souvent pleines de préjugés. La honte trahit ce sentiment de ne plus avoir de racines, de ne jamais être pleinement reconnu·e, pleinement considéré·e, lorsque l’on change de milieu social.

La culture

Ernaux annonce rapidement son envie d’écrire sur son père mais aussi sur la distance qui est apparue entre eux. Elle décrit cette distance comme “une distance de classe” dont la culture est le principal agent. L’autrice explique ainsi le rapport complexe de son père à la culture : pour lui, la véritable culture est le travail de la terre, “l’autre sens de culture, le spirituel, lui éta[nt] inutile”. Lorsqu’elle raconte l’enfance de son père, celui-ci n’est marqué que par un livre particulier : celui qui raconte le réel. La distanciation culturelle entre le père et la fille va être creusée par l’école. Pour lui, les études n’ont “pas de rapport avec la vie ordinaire”. Ernaux raconte ainsi l’énervement de son père à la voir lire toute la journée, mais aussi l’incompréhension que ces objets culturels suscitent : “Les livres, la musique, c’est bon pour toi. Moi je n’en ai pas besoin pour vivre.”.

L’éducation

Ernaux décrit le rapport ambigu de son père à l’éducation, qui va favoriser la distance de classe qui se creuse entre elle et sa famille. D’une part, celui-ci est respectueux de l’école et incite sa fille à apprendre et à écouter ses professeurs. D’autre part, il entretient une méfiance, une distance vis-à-vis de l’éducation, refusant de prendre part à toute activité organisée dans le cadre scolaire. Le père est ainsi conscient que l’éducation est un vecteur de différenciation, de distanciation sociale. L’école devient alors un “univers terrible”, celui qui peut venir déséquilibrer voire désintégrer l’union familiale au nom de la mobilité sociale.

La mort

La Place est née de la mort du père de l’autrice, qui est l’un des premiers événements relatés dans le roman. Annie Ernaux décrit figurativement les réactions des membres de sa famille face au décès et se concentre notamment sur les rituels adoptés. Elle évoque l’annonce du décès par sa mère, la toilette du corps et l’arrivée des pompes funèbres en détail. Ses descriptions “plates” font toutefois appel à l’ensemble de nos sens : elle décrit l’odeur de la décomposition du corps, le silence du café fermé le jour de l’enterrement, les mains serrées, les larmes. En ayant recours à ce type d’écriture, la mort apparaît comme concrète, normalisée : c’est l’aboutissement de la vie de son père et la raison d’être de ce livre.

Le village

Dans l’ensemble de son livre, Ernaux nomme les grandes villes de sa vie – Rouen, Le Havre, Paris – sans jamais nommer le village où a vécu son père, désigné par une simple lettre, “Y…”. Pourtant, ce village du Pays de Caux, région du Nord-Ouest de la Normandie, est omniprésent dans La Place. L’évolution du village – l’ouverture de nouveaux magasins, l’apparition des supermarchés, les mutations sociales – reflète celle de la société française. C’est aussi à “Y…” que les parents de l’autrice vont acheter un commerce et peu à peu sortir du monde ouvrier. “Y…” est le lieu qui rappelle constamment à Ernaux ses origines, un lieu qu’elle décrit aux amies qu’elle amène comme “simple” et dans lequel son mari, issu d’un milieu bourgeois, ne se rendra presque jamais.