La Place

La Place Résumé et Analyse

Ernaux arrête provisoirement le récit de la vie de son père pour préciser les modalités de son projet d’écriture. Elle confie la difficulté de “révéler la trame significative d’une vie dans un ensemble de faits et de choix” ainsi que la tentation de se laisser tenter par le souvenir, l’affection, le personnel. Elle affirme résolument sa volonté de “s’arrache[r] au piège de l’individuel.”. Elle précise également certaines de ses conventions d’écriture, comme l’usage de l’italique, qui indique les expressions qu’elle a entendues dans le monde de son père.

Revenant à son sujet principal, Ernaux indique être née peu après le début de la seconde guerre mondiale. Son père, trop âgé, n’a pas été mobilisé. La famille est brièvement partie près de Lisieux avant de revenir à L… après l’invasion allemande. Le père assurait le ravitaillement pour de nombreuses personnes du village, celles qui “étaient au-dessous du marché noir.”. Il emmenait la jeune Annie se promener le dimanche. Ernaux raconte le caractère joyeux de son père à la Libération, et le climat d’espérance qui règne dans le village.

La famille décide alors de revenir à Y…, là où les parents avaient tenu le premier café-épicerie. Après plusieurs mois de recherche, ils retrouvent un fonds de café-épicerie, situé dans une maison paysanne avec un jardin, une cour, des entrepôts. Le père redevient commerçant : “La vie d’ouvrier de mon père s’arrête ici.”. Le commerce rapporte suffisamment d’argent pour que la famille puisse mener une vie plus confortable, c’est-à-dire une vie dans laquelle on a “tout ce qu’il faut.”. Ernaux raconte la routine des clients du café-épicerie, qui est un lieu de vie important du village, et l’embellissement de la maison que son père finit par acheter. Il devient le premier propriétaire de sa famille.

Toutefois, cette aisance relative suscite chez le père de l’autrice une peur continuelle, celle de ne pas être à sa place, de ne pas se comporter comme il faut, de ne pas être “assez bien”. À cette crainte de la honte personnelle s’ajoute celle du regard extérieur: “Obsession: « qu’est-ce qu’on va penser de nous? » (les voisins, les clients, tout le monde).”.

Ernaux explique alors le rapport que son père entretient avec le langage. Ses grands-parents ne parlaient qu’en patois mais son père refusait de parler ainsi, préférant s’exprimer en français. Le patois est, pour lui, “un signe d’infériorité”. Toutefois, il refuse d’employer des tournures compliquées ou des expressions nouvelles qui ne « voulaient rien dire ».”. À cette méfiance s’ajoute la peur de ne pas agir comme il faut. Ernaux raconte que son père parlait peu, de peur de ne pas s’exprimer correctement. C’est ainsi que pour son père, tout ce qui touche au langage reste dans son souvenir un “motif de rancœur.".

Ernaux dresse un portrait plus détaillé de son père au quotidien, un portrait qu’elle aurait pu faire “autrefois, en rédaction, à l’école”. Elle raconte le soin qu’il porte à son potager et à l’élevage de poules et de lapins qu’il a installé dans la cour, sa manière de manger, ses habitudes pour dormir. En décrivant ce mode de vie, elle rappelle le commentaire de sa mère: “« C’est un homme de la campagne, que voulez-vous. »”.

Analyse

Cette partie décrit tout d’abord la vie de la famille d’Annie Ernaux après sa naissance avant de se centrer plus précisément sur celle du père, de ses habitudes, et de sa perception de la société.

Ernaux évoque l’ascension sociale ‘finale’ de ses parents, qui, après la guerre, s’installent définitivement à Y… en tant que commerçants. L’achat de la maison est un symbole important du nouveau statut social de ses parents : ils ne sont plus paysans ou ouvriers, mais commerçants et propriétaires. Elle décrit la vision de l’aisance qu’ont ses parents : avoir ‘ce qu’il faut’, ‘ce dont on a besoin’. Ils restent continuellement soucieux de perdre ce nouveau statut. C’est “la crispation de l’aisance gagnée à l’arrachée.”..

Avec ce nouveau statut social viennent de nouvelles normes et de nouvelles attentes. Ernaux décrit ainsi la peur de son père de ne pas savoir agir conformément aux codes de son nouveau milieu social. Elle raconte des situations qui semblent anecdotiques, mais qui montrent la peur qu’à son père qu’on découvre ses origines, sa “Honte d’ignorer ce qu’on aurait forcément su si nous n’avions pas été ce que nous étions, c’est-à-dire inférieurs.”. Ainsi, ni l’activité économique ni le statut de propriétaire ne permettent à son père de se sentir véritablement ‘à sa place’ dans ce nouveau milieu. Même si leurs expériences diffèrent, le père d’Ernaux est lui aussi devenu un transfuge de classe, vivant dans un autre milieu social que celui dans lequel il a grandi, auquel il aspirait, sans pouvoir y exister pleinement.

Cette position sociale ambiguë est également reflétée dans les descriptions qu’Ernaux fait du rapport de son père au langage. Celui-ci rejette le patois de son enfance sans toutefois adopter les codes linguistiques des clients du café, contrairement à sa femme. Devant les “gens qui parl[ent] bien”, il préfère se taire plutôt que de faire une faute de français. Ernaux montre ainsi comment le langage est un profond marqueur de classe. Elle justifie ainsi implicitement son l’écriture “plate”, visant à remettre en question l'usage de la langue comme outil de domination.