La Place

La Place Résumé et Analyse

Annie Ernaux commence son récit en se souvenant des épreuves pratiques du Capes, le concours permettant d’accéder à la fonction d’enseignant, qu’elle a passé à Lyon. Écrivant à la première personne, elle raconte les cours qu’elle a dus donner à plusieurs classes de lycée, devant un inspecteur et deux professeurs de lettres. Elle évoque le cérémonial du concours et de l’annonce des résultats, ainsi que la réaction de ses parents lorsqu’elle leur a annoncé qu’elle devenait “professeur «titulaire».”.

Ernaux continue son récit en annonçant la mort de son père, deux mois plus tard. Elle décrit avec précision le déroulé de cette journée : la découverte du décès par sa mère, la toilette du corps, les paroles échangées avec les autres membres de la famille, puis la venue du médecin constatant officiellement le décès.

Conservant un ton neutre, Ernaux raconte les funérailles de son père, en détaillant les aspects pratiques, de l’organisation avec les pompes funèbres à l’odeur du cadavre en décomposition. Son écriture, distante, reflète son état d’esprit : “Ce n’était plus mon père. (...) J’avais l’impression que ces préparatifs n’avaient pas de lien avec mon père.”. En décrivant l’enterrement, elle ajoute ses propres commentaires à propos des normes sociales qui encadrent cet évènement : “Larmes, silence et dignité, tel est le comportement qu’on doit avoir à la mort d’un proche, dans une vision distinguée du monde. Ma mère, comme le voisinage, obéissait à des règles de savoir-vivre où le souci de dignité n’a rien à voir.”.

Une fois l’inhumation et les démarches administratives effectuées, Ernaux va rejoindre son mari en train, avec son fils. Ce voyage retour lui fait prendre conscience du caractère définitif du déracinement qu'elle éprouve : “D’un seul coup, avec stupeur, « maintenant, je suis vraiment une bourgeoise » et « il est trop tard ».”. De cette prise de conscience naît le projet d’écrire au sujet de son père et de la distance qui s’est créée entre eux.

Ernaux va ensuite expliquer sa démarche d’écrivaine. Elle ne veut pas écrire un roman autobiographique dont son père serait le personnage principal, ou même un livre qui serait un roman. Elle refuse de faire appel à l’émotion ou à la poésie. L’objectif de La Place est de retracer les “faits marquants” de la vie de son père avec le plus d’objectivité possible.

Analyse

La Place débute par la description de deux événements marquants dans la vie de l’autrice : le passage des épreuves du Capes et les funérailles de son père. Ces deux thèmes resteront présents en filigrane dans l’ensemble du livre, qui évoque à plusieurs reprises le rôle de l’école dans la socialisation et qui se referme sur la mort du père.

En décrivant ces évènements, Ernaux écrit à la première personne. L’usage du “je” dans La Place n’en fait pas pour autant une œuvre autobiographique. Selon le théoricien littéraire Philippe Lejeune, l’autobiographie “consiste pour l'auteur à se montrer tel qu'il est, à raconter directement sa vie dans un « récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité.”. Or, dans La Place, Ernaux fait un usage omniprésent de données et de commentaires sociologiques, en mêlant les récits de vie de plusieurs personnes. La Place se caractérise ainsi comme un dispositif sociologique qui se veut accessible à tous, plus qu’une (auto)biographie.

L’importance de cette démarche sociologique se retrouve dans les choix d’écriture de l’autrice. À la fin de cette partie, elle annonce son projet d’écriture en refusant de “prendre le parti de l’art, affirmant que le “roman est impossible. Pour rendre compte d’une vie de nécessité”. Cette démarche traduit une distanciation vis-à-vis du monde académique. Ernaux affirmait ainsi qu’elle souhaitait se maintenir “au-dessous de la littérature”. Cette distanciation vis-à-vis du monde académique se retrouve dès le début de La Place, dans la description du caractère cérémonial des épreuves du Capes. Les allusions au caractère hautain des examinateurs et à leur formalisme extrême créent immédiatement un décalage avec Ernaux, ainsi qu’avec les lecteur·ices.

Ernaux décrit son écriture comme “plate” ; c’est l’écriture du quotidien, celle qu’elle utilisait d’ailleurs pour écrire à ses parents et leur donner des nouvelles. Ce style d’écriture dépouillé crée des contraintes fortes pour l’écrivaine. Écrire de la manière la plus factuelle et véridique possible impose une rigueur particulière, d’autant plus qu’Ernaux écrit sur ses proches et leur vie.

L’écriture “plate” devient alors un outil qui remet en question l’appropriation de la langue par les classes dominantes. Elle permet, pour Ernaux, de faire ressentir la réalité des rapports de domination socio-culturels entre classes sociales. Son usage, enfin, est un moyen pour l’autrice de refuser toute “connivence de classe” avec le monde académique et littéraire.