Thérèse Raquin

Thérèse Raquin Citations et Analyse

« Dans Thérèse Raquin, j’ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J’ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair ».

Emile Zola, 1867 "Préface"

En décrivant Thérèse et Laurent (respectivement) comme « dominés par leurs nerfs et leur sang », Zola ne positionne pas ses personnages comme de simples types ou stéréotypes. Au contraire, il dessine une théorie contemporaine des comportements humains, qui stipulait que la personnalité et les « tempéraments » étaient déterminés par la composition physique avec l’entière prédominance du sang, des nerfs et d’autres substances. Toutefois, il est aussi possible de comprendre cette citation comme une réponse aux critiques. Tout au long de la « Préface », Zola rappelle les réactions scandalisées et les incompréhensions apparentes des premiers critiques de Thérèse Raquin. Mais si Thérèse Raquin peut-être résumé aussi efficacement que Zola le fait ici, l’incompréhension prolongée des critiques n’est-elle pas à la fois absurde et idiote ? Et depuis que ce roman est vraiment devenu une « étude » plus objective des affections « prédéterminées », de telles accusations médisantes ne semblent-elles inappropriées ?

« Elle resta l’enfant élevée dans le lit d’un malade ; mais elle vécut intérieurement une existence brûlante et emportée. Quand elle était seule, dans l’herbe, au bord de l’eau, elle se couchait à plat ventre comme une bête, les yeux noirs et agrandis, le corps tordu, près de bondir».

Narrateur

Ce passage décrit l’enfance de Thérèse , qui pour de nombreuses années établit le modèle de sa vie adulte. Même si elle semble docile en apparence et dévouée à son cousin malade Camille, Thérèse à une vie intérieure qui est tout sauf calme. Elle est dotée d’une imagination folle et transpire l’agressivité. A l’âge adulte, Thérèse vit cette « double vie » de manière encore plus extrême ; elle affecte une passivité extrême et une obéissance en présence de Camille et de sa mère, mais elle s’adonne à sa nature vicieuse et animale dans ses ébats et ses complots meurtriers avec Laurent.

« Au fond, c’était un paresseux, ayant des appétits sanguins, des désirs très arrêtés de jouissances faciles et durables. Ce grand corps puissant ne demandait qu’à ne rien faire, qu’à se vautrer dans une oisiveté et un assouvissement de toutes les heures ».

Narrateur

Ici, Zola explique un des points centraux de l’ironie du personnage de Laurent. Malgré son apparence de force physique et de vigueur sexuelle, le jeune homme ne souhaite rien de plus que d’abandonner ces capacités. Son amour, de plaisirs sans aucune exigence et toujours prévisibles, Laurent est en fait très semblable à Camille, qui est par ailleurs présenté comme le fleuret de Laurent. C’est une des nombreuses ironies de Thérèse Raquin : que deux personnalités si différentes, une "forte" et une "faible", puissent partager autant de valeurs.

« La nature et les circonstances semblaient avoir fait cette femme pour cet homme, et les avoir poussés l’un vers l’autre. À eux deux, la femme, nerveuse et hypocrite, l’homme, sanguin et vivant en brute, ils faisaient un couple puissamment lié. Ils se complétaient, se protégeaient mutuellement».

Narrateur

Ce passage décrit Thérèse et Laurent à l’apogée de leur liaison. Mais même s’ils sont enivrés de passion, l’astucieux Zola avait conçu ce passage en résonnance avec d’autres parties du roman. Dans sa description de l’enfance de Thérèse, Zola déclare que son héroïne est « comme un animal », maintenant, Thérèse a trouvé l’amant parfait pour l’aider à libérer son côté animal. Mais ce passage préfigure également les changements et évolutions qui déstabiliseront les protagonistes. Ainsi, avant le meurtre de Camille, Thérèse et Laurent étaient capables de se protéger l’un l’autre ; après le crime ils ressentent seulement de la vulnérabilité lorsqu’ils sont ensemble.

« Et la pauvre mère voyait son fils roulé dans les eaux troubles de la Seine, le corps roidi et horriblement gonflé ; en même temps, elle le voyait tout petit dans son berceau, lorsqu’elle chassait la mort penchée sur lui. Elle l’avait mis au monde plus de dix fois, elle l’aimait pour tout l’amour qu’elle lui témoignait depuis trente ans. Et voilà qu’il mourait loin d’elle, tout d’un coup, dans l’eau froide et sale comme un chien ».

Narrateur

Les souvenirs de Mme Raquin distillent une terrible ironie du sort. Camille n’est pas décédé lorsqu’il était affaibli ni quand il était aux portes de la mort, mais bien plus tard après être sorti de son berceau (quand la mort tentait encore et encore « de l’emporter ») et d’avoir à peine eu le temps de devenir un jeune homme indépendant. Mme Raquin constate ce sombre coup du sort, mais ce qu’il l’émeut le plus est la solitude dans la mort de Camille et l’horreur de son destin : « son corps rigide et terriblement gonflé ». Ainsi, Camille semble torturé et impuissant, mais son cadavre reviendra en force torturer ses deux assassins, Laurent et Thérèse.

« Pendant plus d’une année, Thérèse et Laurent portèrent légèrement la chaîne rivée à leurs membres, qui les unissait ; dans l’affaissement succédant à la crise aiguë du meurtre, dans les dégoûts et les besoins de calme et d’oubli qui avaient suivi, ces deux forçats purent croire qu’ils étaient libres, qu’un lien de fer ne les liait plus ».

Narrateur

« Pendant plus d’un an, Thérèse et Laurent portèrent avec légèreté la chaîne qui était attachée à leurs membres, les liant ensemble. Dans l’effondrement mental qui suivit la crise aiguë du meurtre, dans les sentiments de dégoût et le besoin de calme et d’oubli qui suivit, les deux prisonniers purent imaginer qu’ils étaient libres et qu’aucun lien de fer ne les unissait ». Narrateur.

A ce moment de l’histoire, Thérèse et Laurent ne sont pas encore mariés et n’ont pas succombé au désespoir, à l’enfermement ni au désarroi que leur mariage leur apportera. Parce qu’ils sont physiquement séparés la plupart du temps, ils peuvent maintenir l’illusion d’une certaine liberté. Le narrateur omniscient de Zola est explicite à ce sujet : ce n’est qu’une illusion. Il y a très certainement de l’anxiété dans les liens entre Thérèse et Laurent, mais en réalité, ils n’ont que peu liberté pour se rebeller contre leur captivité ou encore pour échapper à la dynamique autodestructrice qui a commencé avec le crime de Camille.

« Et chaque semaine ramena un jeudi soir, chaque semaine réunit une fois autour de la table ces têtes mortes et grotesques qui exaspéraient Thérèse jadis. La jeune femme parla de mettre ces gens à la porte ; ils l’irritaient avec leurs éclats de rire bêtes, avec leurs réflexions sottes. Mais Laurent lui fit comprendre qu’un pareil congé serait une faute ; il fallait autant que possible que le présent ressemblât au passé ; il fallait surtout conserver l’amitié de la police, de ces imbéciles qui les protégeaient contre tout soupçon ».

Narrateur.

Dans un roman où les personnages principaux changent de manière si radicale, les personnages mineurs sont curieusement incapables de la moindre évolution. Le vieux Michaud, Grivet, et le reste des invités des soirées du jeudi étaient insupportables pour Thérèse dès le départ et le resteront jusqu’à la fin. L’ironie est que plutôt que désirer le départ de ces « imbéciles » avec leurs « éclats de rire stupides et leurs remarques idiotes », Thérèse est forcée de les endurer afin de ne pas souffrir d’un sort pire : la découverte de leur crime. Aussi, les invités du jeudi n’ont pas besoin de faire quelque chose de particulier pour aider Thérèse et Laurent à survivre ; encore une autre ironie, les Michaud et Grivet se trouvent en fait utiles en restant simplement d’ennuyeux et inutiles parasites.

« Une rage sourde s’était emparée de Laurent. Il creva la toile d’un coup de poing, en songeant avec désespoir à son grand tableau. Maintenant il n’y fallait plus penser ; il sentait bien que, désormais, il ne dessinerait plus que la tête de Camille, et, comme le lui avait dit son ami, des figures qui se ressembleraient toutes feraient rire ».

Narrateur.

Techniquement, la seule personne que Laurent peint au cours du roman est Camille. Le premier tableau que Laurent tente d’exécuter est le portrait du fils choyé de Mme Raquin, puis, à chaque fois qu’il revient à sa peinture, il trouve que chaque visage créé est hanté par l’homme noyé. Même les chats et les chiens de Laurent ressemblent étrangement au cadavre de Camille. Cette situation peut-être perçue comme comique ou tragique. L’ami peintre de Laurent, qui regarde tout cela de loin et son manque de connaissance de la vie de Laurent, considère avec humour ; Laurent se voit piégé dans une tragédie de talent gâché et d’obsession dont il ne peut s’échapper.

« La pensée du suicide lui devint lourde, lorsqu’elle songea tout d’un coup à l’ignorance qu’elle emporterait dans la tombe ; là, au milieu du froid et du silence de la terre, elle dormirait, éternellement tourmentée par l’incertitude où elle serait du châtiment de ses bourreaux. Pour bien dormir du sommeil de la mort, il lui fallait s’assoupir dans la joie cuisante de la vengeance, il lui fallait emporter un rêve de haine satisfaite, un rêve qu’elle ferait pendant l’éternité ».

Narrateur.

L'histoire atteint ce stade ultime lorsque Mme Raquin a découvert le meurtrier et a renoncé à ses anciennes croyances en Dieu et la bonté. En effet, elle a réalisé que « la réalité de la vie telle qu’elle était, embourbée dans un bourbier de passion. Dieu était mauvais". Il est néanmoins possible de lire ce passage en référence avec « l’éternité », impliquant une sorte de vie dans l’au-delà. Mais il ne s’agit plus ici de la vie après la mort des Chrétiens où la vertu est récompensée ; c’est un état approchant les limites du néant ou de « l’insensibilité », un état que Mme Raquin ne ressentira que si elle réussit à venger Camille.

« Et brusquement Thérèse et Laurent éclatèrent en sanglots. Une crise suprême les brisa, les jeta dans les bras l’un de l’autre, faibles comme des enfants. Il leur sembla que quelque chose de doux et d’attendri s’éveillait dans leur poitrine. Ils pleurèrent, sans parler, songeant à la vie de boue qu’ils avaient menée et qu’ils mèneraient encore, s’ils étaient assez lâches pour vivre. Alors, au souvenir du passé, ils se sentirent tellement las et écœurés d’eux-mêmes, qu’ils éprouvèrent un besoin immense de repos, de néant ».

Narrateur.

Ici, Thérèse et Laurent ont tout juste découvert qu’ils avaient le même projet d’assassinat ; Thérèse tient son couteau et Laurent prépare le verre d’eau contenant le poison. Ils ont vraiment atteint cette extrémité, non pas parce qu’ils ont de forts désirs ou sont en compétition, mais parce qu’ils sont trop faibles pour rester dans cet état. Les deux assassins semblent comprendre et partager cette faiblesse, et cette réalisation qui finit par les réconcilier. Pour une fois, “Il leur sembla que quelque chose de doux et d’attendri » et non quelque chose de désagréable et détestable, les conduit enfin l’un vers l’autre.