L'Histoire de la sexualité, volume 1

L'Histoire de la sexualité, volume 1 Résumé et Analyse

Foucault commence la dernière partie du volume en présentant un concept juridique ancien. Dès l'époque romaine, le souverain était doté du pouvoir d'ôter la vie. Les sociétés pré-modernes concevaient l'exercice du pouvoir comme une forme de patria potestas (pouvoir du père), qui accordait au père le droit de disposer de la vie des membres de sa famille comme il l'entendait, en tant que parent, époux et propriétaire. C'est sur cette base qu'il pouvait la leur retirer. Bien que le pouvoir souverain ait été moins extrême, Foucault suggère qu'une version de la patria potestas a influencé la manière dont le pouvoir souverain a été exercé dans la société occidentale jusqu'à l'âge classique.

Pour Foucault, ce concept montre que le pouvoir s’exerce comme un “ prélèvement ” de droits, de privilèges, de vie. L'impôt et la peine de mort s'inscrivent tous deux dans cette logique. Toutefois, depuis l'âge moderne, l'Occident a modifié la logique de l'exercice du pouvoir. Les institutions de pouvoir visent plus à contrôler la vie qu’à menacer d’y mettre fin. Le pouvoir contemporain consiste à gérer et à optimiser la vie de la population.

Cela ne signifie pas que la société moderne soit moins violente. Foucault note que les guerres modernes font plus de victimes que les guerres pré-modernes. La différence entre ces sociétés réside plutôt dans la manière dont le pouvoir comprend la finalité de la violence. La violence est utilisée par le pouvoir au nom de la protection – d'intérêts, de personnes, etc. La peine de mort est ainsi justifiée par certain·es au nom de la protection de la société, et non en raison de la monstruosité d’un crime comme c'était le cas dans le passé.

À partir du XVIIème siècle, le pouvoir dont parle Foucault a évolué sous deux formes, fortement liées à l'essor du capitalisme. La première forme se concentre sur le corps humain, traité comme une sorte de machine qui peut être disciplinée et optimisée pour produire des résultats économiques. Le désir de comprendre les capacités du corps humain conduit à la création de disciplines centrées sur le corps humain. Foucault appelle cette forme de pouvoir sur la vie une “anatomo-politique du corps humain”, parce qu'elle lie exercice du pouvoir à étude du fonctionnement du corps.

La seconde forme est apparue un peu plus tard et adopte une approche différente. Plutôt que de se concentrer sur les corps individuels, elle se concentre sur le corps-espèce. Foucault appelle cela une “bio-politique de la population” : elle traite les individus non seulement comme des membres d'une communauté, mais surtout comme des membres d'une espèce essentiellement biologique. Il s'agit d'une politique de régulation des taux de natalité, d'augmentation de l'espérance de vie et de la santé en général, et de gestion des menaces à la stabilité d'une population, comme les maladies héréditaires. Foucault résume le nouveau paradigme du pouvoir sur la vie en citant Aristote, qui avait qualifié l'être humain “ d'animal politique ”. Dans un régime bio-politique, les êtres humains ne sont plus des animaux dotés d'une capacité d'organisation politique, mais une sorte d'animal dont l'organisation politique met en évidence et questionne notre existence en tant qu'êtres vivants.

Ce changement a eu quelques conséquences majeures. L'une d'entre elles est que les normes sociétales ont commencé à remplacer les lois en tant que force de régulation du comportement individuel. Au lieu de renvoyer les comportements aberrants à la loi, la société bio-politique a créé des mécanismes de régulation et des techniques de connaissance diffus. Les criminel·les sont par exemple ‘traité·es’ par un système carcéral, mi-médical mi juridique, et non condamné·es à mort, afin de faire changer leur comportement.

C’est dans ce contexte qu'il faut comprendre comment le sexe est devenu un enjeu politique si important. Le sexe se situe à l'intersection de deux façons différentes dont les institutions de pouvoir peuvent s'emparer du corps humain : d'une part, le sexe est lié à l’exploitation et au contrôle de la productivité et de la reproduction ; d'autre part, le sexe se conçoit au travers de la préoccupation du pouvoir pour le statut biologique d'une population entière. Le sexe est, à nouveau un point d’échange entre de multiples relations de pouvoir.

La construction de la sexualité a permis à une nouvelle forme de pouvoir de consolider son emprise sur une population. À travers des thèmes comme la race, la descendance, la santé ou l'avenir de l'espèce humaine, le pouvoir “parle de la sexualité et à la sexualité”. Le sexe est sans cesse invoqué et devient l’objet d'une excitation et d'une peur constantes.

Foucault revient alors sur la fonction symbolique de la sexualité dans les rapports de classe. La sexualité, affirme-t-il, est devenue garante du statut social et des liens familiaux. Nous sommes passés, selon Foucault, d'une “symbolique du sang” à une “ analytique de la sexualité ”. Cette terminologie souligne les différences dans la méthode d'exercice du pouvoir, entre une politique qui traite le sang comme un symbole de relations codifiées, et une politique qui génère des connaissances en étudiant la sexualité de la population. Foucault situe ce changement dans le contexte du passage d'une organisation juridique à une organisation bio-politique du pouvoir : le déploiement de la sexualité permet au pouvoir d'envelopper et de travailler à travers les corps bien plus efficacement qu’au travers des lois d'alliance et d'hérédité.

Foucault relève une objection possible de la part du lecteur : en se focalisant sur la diffusion de la sexualité en tant que vecteur de pouvoir, Foucault n’oublie-t-il pas le sexe lui-même ? Lorsque nous parlons des relations de pouvoir et de savoir, des classifications scientifiques de la perversité, de l'hystérisation du corps des femmes, parlons-nous vraiment de sexe ? Foucault répond à ces critiques potentielles en soutenant que même le concept de sexe ne précède pas la détermination sociale. C'est en insistant sur l'existence d'un domaine particulier d'activités, le sexe, et d'une gamme particulière de désirs, les désirs sexuels, que le déploiement de la sexualité s'empare des corps et des populations.

Foucault rappelle ainsi au lecteur que le déploiement de la sexualité ne traite pas d'abstractions qui ont peu à voir avec l'expérience vécue du désir sexuel, du plaisir, etc... Le dispositif de sexualité est puissant précisément parce qu'il s'empare des corps, nous laissant penser que la sexualité précède sa construction sociale et échappe aux relations de pouvoir.

Foucault conclut La Volonté de savoir, en donnant un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler un activisme sexuel plus éclairé. Au lieu de se concentrer sur la libération de la répression, il préconise une réflexion plus approfondie sur les corps et les plaisirs. Cette stratégie implique que nous pourrions récupérer plus d'autonomie sur nos propres corps si nous reconnaissions les mécanismes par lesquels nos corps sont appropriés dans le dispositif de sexualité.

Analyse

“ Longtemps, un des privilèges caractéristiques du pouvoir souverain avait été le droit de vie et de mort. ”. L’ouverture de la dernière partie fait écho à la première phrase du livre, où Foucault affirme que “ Longtemps nous aurions supporté, et nous subirions aujourd'hui encore, un régime victorien. ”. Ce geste littéraire donne au livre sa cohérence en tant que projet. Cette dernière partie ressemble à un manifeste qui propose de nouvelles stratégies pour que les individus se réapproprient leurs corps et leurs plaisirs. La rhétorique de Foucault lui permet de se déplacer entre les registres du récit historique et de l’activisme politique.

Cette partie est notoirement difficile, se détournant temporairement de la sexualité pour revenir à l’analyse du pouvoir. Foucault décrit ainsi l'émergence du “ bio-pouvoir ”, un terme qui aura une importance considérable pour sa pensée ultérieure. Concept développé pour la première fois dans ses conférences des années 1970 au Collège de France, le bio-pouvoir renvoie à la manière dont le pouvoir politique moderne régule et contrôle la vie des individus. Le terme apparaît par écrit pour la première fois dans ce livre. Foucault décrit en effet comment l’essor de la sexualité a facilité le passage du pouvoir souverain au bio-pouvoir. La sexualité joue un rôle important dans un nouveau mode de pouvoir politique qui favorise la vie et se préoccupe de la population d'un point de vue scientifique et managérial, utilisant les technologies médicales pour affiner son contrôle sur les personnes.

La sexualité est au cœur de ces processus. C'est la sexualité qui transforme les corps en sujets d’étude psychiatrique. C’est la sexualité qui est à l’origine des politiques démographiques. La sexualité a aussi donné à la bourgeoisie un nouvel outil de différenciation d’avec la classe ouvrière. La pensée la plus provocatrice de Foucault est sans doute l’affirmation selon laquelle la sexualité est le principal canal par lequel le pouvoir moderne (c'est-à-dire bio-politique) a été élaboré et par lequel la subjectivité moderne a été formée.

Le terme de “ contrôle ” est utile pour saisir la différence entre les régimes de pouvoir pré bio-politiques et bio-politiques. Avant la modernité, le pouvoir était détenu par une personne, le souverain, et s’exerçait verticalement comme une force répressive sur l’ensemble de la société. Dans les sociétés modernes, le pouvoir est plus diffus, plus intrusif, et s’exerce au travers de chacun, et notamment grâce à un ensemble diversifié d'institutions. Foucault révèle comment des formes de pouvoir apparemment plus douces peuvent être d'autant plus intrusives ou violentes.

Prenons l’exemple du mariage : dans l'Europe pré moderne, la vie privée du couple marié était relativement protégée. Les personnes mariées s'exposaient toutefois à des sanctions pénales si elles étaient surprises en train de commettre des actes criminalisés tels que l'adultère ou la sodomie. Aujourd'hui, ni l'adultère ni la sodomie ne sont des délits punissables. Cependant, les couples mariés sont soumis à des normes sociales, qui proviennent de diverses institutions mais émanent aussi de tous les sujets, et dictent ce que devrait être une relation conjugale ou parentale saine. Le pouvoir bio-politique incite les individus à se contrôler.

Cette dernière partie s'achève en imaginant un nouvel horizon pour la sexualité, dans lequel les gens se concentrent moins sur la recherche d’une vérité intime que sur la recherche de moyens radicaux d'expérimenter et de libérer les plaisirs. Foucault a beaucoup étudié les milieux où la sexualité queer a prospéré dans les années 1970, en particulier à San Francisco, lorsqu’il était conférencier à l'Université de Californie, à Berkeley. Une pratique foucaldienne de la libération sexuelle implique une remise en question constante de ce que nous considérons comme des plaisirs acceptables et inacceptables, et exige que nous n'acceptions jamais les catégories par lesquelles nous nous identifions comme étant naturelles et inamovibles.