L'Histoire de la sexualité, volume 1

L'Histoire de la sexualité, volume 1 Résumé et Analyse

Dans ce chapitre, Foucault poursuit sa critique de l'hypothèse répressive. Alors que le chapitre précédent se concentrait sur l'incitation à parler de sexe, “ l'implantation perverse ” aborde l'hypothèse selon laquelle la sexualité victorienne recherchait une sexualité homogène, où tout le monde serait monogame et n'aurait que des relations sexuelles reproductives dans le cadre du mariage hétérosexuel. Foucault constate au contraire que les discours sur la sexualité des trois cents dernières années ont donné naissance à un nombre considérablement accru de “ perversions ”, dont le concept même est une invention moderne. Distinct d'un simple transgresseur de la loi, le pervers est défini dans la société par ses pratiques sexuelles considérées comme aberrantes. De telles pratiques définissent la personnalité même du pervers.

Selon Foucault, jusqu'à la fin du XVIIIème siècle, les relations sexuelles étaient régies par trois codes distincts : le droit canonique (la loi religieuse chrétienne), la pastorale chrétienne (morale religieuse appliquée localement par le prêtre ou le pasteur) et le droit civil. Ces codes, qui se concentrent principalement sur le couple hétérosexuel marié, interdisent également certaines pratiques sexuelles qui peuvent être commises en dehors du mariage, comme la sodomie. Ces pratiques sexuelles sont partiellement définies par leur exclusion de ce qui est considéré comme un mariage acceptable. Les autorités contrôlent donc les pratiques sexuelles hors et dans le mariage, afin de s’assurer que les personnes mariées ont une relation " saine ", " correcte ", et suffisamment reproductive.

" L'explosion discursive ” des XVIIIème et XIXème siècles a modifié cet ordre des choses. D'une part, elle accorde une certaine intimité au couple marié. D’autre part, elle s’intéresse aux expressions dites “contre-nature" de la sexualité. Des taxinomies détaillées des formes de perversion sont ainsi établies. Les discours sur la sexualité moderne viennent définir de nouveaux types de personnalité basés sur des pratiques sexuelles considérées comme aberrantes. Parmi ces “sexualités périphériques” figurent l’homosexualité, l’asexualité, mais sont aussi inclues la sexualité enfantine, les manies sexuelles, etc...

Foucault insiste sur le fait qu’une telle classification ne vise pas uniquement à réprimer les “ sexualités périphériques ”. Il dresse une liste des opérations de pouvoir impliquées dans ces taxonomies :

1. Foucault compare le discours sur l’inceste et celui sur la sexualité infantile. L’inceste fait l’objet d’une prohibition ancienne, directe et considérée comme un consensus. La sexualité des enfants fait elle l’objet de contrôles et de recherches scientifiques. Dans le cas de l’inceste, on se trouve devant un mécanisme de pouvoir légal ; dans le cas de la sexualité infantile, le pouvoir s’exerce au travers de la médecine et de la psychologie. Les institutions telles que le corps médical et les écoles ont ainsi étendu leurs “ dispositifs de surveillance ” des enfants, s’introduisant dans leur vie privée et limitant leur autonomie.

2. Le discours médical considère que le comportement pervers façonne la personnalité entière de l’individu : “ Rien de ce qu’il est au total n’échappe à sa sexualité. ”. Dans ce discours, les actes interdits sont remplacés par des figures, des personnages. Foucault prend l’exemple de la sodomie, ancien acte interdit, dont l’auteur passe de “ sujet juridique ” à un “ personnage ”, celui de “ l’homosexuel du XIXème siècle ”. Cette catégorisation des individus selon leur sexualité les soumet à un contrôle institutionnel beaucoup plus invasif mais aussi plus diffus. La sexualité est aussi dégagée d’actes qui ne sont pas eux-mêmes explicitement sexuels. Foucault fait référence avec humour aux psychiatres qui “ entomologisent ” – l'entomologie est l'étude scientifique et la classification des insectes – les types de pervers, jusqu’à ce que ces classifications soient dépourvues de tout sens.

3. La science du XIXème siècle considère ces ‘pervers’ comme des sujets d’étude plus que des êtres dangereux. Les individus sont ainsi examinés, de leur squelette à leur apparence physique, en passant par leurs lésions cutanées. Foucault relève que l'étude médicale constante des pervers est presque érotique dans la manière dont elle “ caresse ” les corps de ceux qu'elle étudie. Foucault suggère ici, de manière provocante, que le plaisir est partie intégrante de la dynamique du pouvoir qui s’exerce lors de l'examen médical, de l'évaluation psychiatrique, de la discipline scolaire ou du contrôle parental. Ce plaisir, ressenti par celles et ceux qui occupent des positions d’autorité, est associé à la production de connaissances et donc à l'exercice du pouvoir.

4. La prolifération des perversités a influencé l'organisation de la famille normative. Les enfants commencent à dormir dans des chambres séparées de leurs parents, les activités telles que l'allaitement sont soumises à des codes de conduite stricts et la masturbation fait l'objet d'une surveillance accrue. Foucault s'oppose ici à l'idée selon laquelle la société moderne a tenté de supprimer l'existence de la perversité en limitant la sexualité au couple marié. Au contraire, Foucault montre comment la famille a elle-même été morcelée par le spectre de la perversité. L'implantation des perversions, conclut Foucault, est tant l’effet que l’instrument d'un pouvoir politique qui s'exerce au travers de la régulation du sexe. Plus les institutions de pouvoir revendiquent leur autorité en faisant appel aux dangers du sexe, plus les formes de sexualité perverse apparaissent dans la société. Plaisir et pouvoir “ s'enchaînent selon des mécanismes complexes et positifs d'excitation et d'incitation. ”.

Analyse

Ce chapitre clôt l'exposé de l'hypothèse répressive. La catégorisation est un nouveau moyen de mise en discours de la sexualité, aux côtés de la confession. La catégorisation des pervers met la perversion en discours en élaborant un langage et des catégories nouvelles pour désigner les comportements considérés comme déviants. La catégorisation s'efforce de répondre à l'imagination supposée infinie du pervers.

Le titre du chapitre 2 de la deuxième partie est provocateur : “ implantation ” suggère non seulement que la perversion a été inventée à l'époque moderne, mais aussi qu'elle a été spécifiquement projetée sur la population. En d'autres termes, la société victorienne ne s'est pas contentée de créer ces nouveaux concepts ; elle a elle-même créé des pervers correspondant à ces nouveaux modèles discursifs. Les médecins pouvaient non seulement créer des classifications, mais devaient aussi y maintenir des spécimens, sous la forme de patients devenus objets d'étude. Les pratiques par lesquelles les comportements dits pervers ont été réprimés n'ont jamais eu pour but d'éradiquer ces comportements, mais plutôt de les découvrir et de les étudier.

Foucault évoque à plusieurs reprises le concept de nature. La catégorisation des comportements pervers marque le passage d'une compréhension juridique de la conduite sexuelle à une compréhension médicale et scientifique, qui ne repose plus sur la morale mais sur la nature. Foucault rappelle par ailleurs comment la position apparemment moralement neutre d'un pouvoir discursif fondé sur la science peut agir comme une force efficace pour imposer certains comportements.

Ce chapitre illustre la stratégie rhétorique de Foucault : présenter la théorie la plus communément admise pour ensuite mieux la réfuter et avancer ses propres arguments. D'une certaine manière, l’ensemble du livre est une réfutation prolongée de l'hypothèse répressive.