Le passe-muraille

Le passe-muraille Résumé et Analyse

À Paris, dans le quartier de Montmartre, vit un homme dénommé Dutilleul. Âgé de quarante-trois ans, ce fonctionnaire mène une vie calme et rangée, loin des excès en tout genre. Il travaille au ministère de l’Enregistrement où il occupe un poste d’employé de 3e catégorie et occupe son temps libre avec une collection de timbres et de la lecture. Un soir, de façon tout à fait inattendue, il se découvre l’incroyable pouvoir de traverser les murs. Toutefois, comme cette faculté soudaine ne répond à aucun de ses besoins, Dutilleul se rend chez son médecin qui, après avoir trouvé l’origine médicale de ce don, lui prescrit pour en atténuer les effets, d’avaler des cachets de pirette tétravalente et de mener un surmenage intensif. De retour chez lui, Dutilleul prend un cachet, range le reste des médicaments dans un tiroir et les y oublie. Une année se passe et, faute d’avoir suivi son traitement, Dutilleul est toujours doté de son pouvoir, pouvoir qu’il n’utilise que très rarement et toujours par inadvertance.

La vie de Dutilleul bascule lorsque son supérieur, Monsieur Mouron, est remplacé par un nouveau sous-chef, Monsieur Lécuyer, qui se met en tête de réformer le service pour le moderniser. Avec son lorgnon à chainette, sa barbiche noire et des formules administratives désuètes qu’il refuse d’abandonner, Dutilleul fait figure, aux yeux du nouvel arrivant, de vieille chose gênante et malpropre. Agacé par l’attitude récalcitrante de son subalterne, Monsieur Lécuyer finit par le reléguer dans un placard attenant à son bureau pour qu’il y finisse sa carrière. Docile, le fonctionnaire accepte son sort à contrecœur jusqu’au jour où Monsieur Lécuyer entre dans le débarras en traitant la lettre rédigée par Dutilleul d’innommable torchon qui déshonore le service et son auteur de cancrelat routinier. Monsieur Lécuyer froisse la lettre incriminée et la jette à la figure de son subalterne avant de retourner dans son bureau. Humilié au plus haut point, Dutilleul réalise soudain que sa faculté à traverser les murs va enfin lui être utile. Il passe la tête à travers la cloison qui sépare son débarras du bureau de son supérieur et lui lance qu’il est un voyou, un butor et un galopin. Totalement effaré par cette apparition, Monsieur Lécuyer se rend immédiatement dans le débarras de Dutilleul qu’il trouve occupé à sa tâche dans une attitude calme et posée. Perplexe, le sous-chef retourne à sa place et alors qu’il s’apprête à s’asseoir, la tête de Dutilleul réapparait en proférant des insultes et de mystérieuses menaces évoquant la présence d’un loup-garou. « Garou ! Garou ! un poil de loup ! il rôde un frisson à décorner tous les hiboux ». Dutilleul réitère tant et tant cette mise en scène effrayante que quelques jours plus tard Monsieur Lécuyer, proche de sombrer dans la folie, est envoyé dans une maison de repos.

Débarrassé de son supérieur tyrannique, Dutilleul reprend le cours de sa vie paisible jusqu’à ce qu’il ressente une impérieuse envie de traverser de nouveau des murs. Très vite, cette envie se transforme en un besoin de se surpasser en traversant davantage que les simples cloisons de son appartement. À la recherche d’un but à son talent, il finit par trouver l’inspiration dans la rubrique des faits divers et décide de commencer sa nouvelle carrière par le cambriolage d’une banque. Il parvient jusqu’au coffre-fort, se remplit les poches et, avant de partir, utilise le pseudonyme de Garou-Garou pour signer son méfait. Dès le lendemain et les jours qui suivent, la presse s’empare de l’affaire et relate les exploits de Garou-Garou. Symbole de liberté, il devient en moins d’une semaine, l’objet d’un engouement populaire si délirant que le ministre de l’Intérieur est contraint à la démission entrainant dans sa chute le ministre de l’Enregistrement.

Tandis que le public s’enthousiasme des aventures nocturnes de Garou-Garou, Dutilleul, pourtant devenu un des hommes les plus riches de Paris, continue chaque matin à se rendre à son travail et à effectuer sa tâche avec dévouement. Chaque jour, sans se dévoiler, il se délecte secrètement des éloges que ces collègues font de ce Garou-Garou qu’ils qualifient d’homme formidable, de surhomme et de génie. Un jour, n’y tenant plus, il finit par leur révéler qu’il est ce cambrioleur rocambolesque qu’ils admirent tant. Malheureusement, la confidence de Dutilleul n’a pas l’effet escompté et est accueillie par un grand éclat de rire. Dutilleul n’obtient pas la reconnaissance et l’admiration qu’il attendait de ses camarades. Quelques nuits plus tard, alors qu’il cambriole une bijouterie, Dutilleul, pétri d’orgueil, décide d’attendre qu’une patrouille de police vienne l’arrêter. Le lendemain, à sa grande satisfaction, son identité est révélée par tous les journaux : Dutilleul est Garou-Garou ! Ses collègues qui, la veille encore, se moquaient de lui regrettent leur attitude à son égard et multiplient les hommages.

Incarcéré à la prison de la Santé, Dutilleul y découvre avec régal un véritable terrain de jeu pour le passe-muraille qu’il est. L’épaisseur des murs ne le freinant pas dans ses escapades au sein de l’établissement, il s’amuse à dérober la montre du directeur, lui emprunter le livre Les Trois mousquetaires et distribuer d’inattendus coups de pied aux fesses de ses gardiens. Il finit par annoncer à ses geôliers qu’il s’évadera à une date et une heure qu’il précise.Comme promis, et malgré l’étroite surveillance mise en place, Dutilleul quitte la prison. Cette nouvelle fait la une des journaux dès le lendemain, suscitant un enthousiasme magnifique dans la population. Fort de ses exploits et peu soucieux de se cacher, Dutilleul est arrêté trois jours plus tard pour être reconduit à la prison de la Santé. Enfermé à triples tours dans un sombre cachot, Dutilleul s’en échappe le soir même pour aller profiter d’une bien meilleure nuit dans les appartements du directeur. Facétieux, il sonne la bonne le lendemain matin, afin que le petit déjeuner lui soit servi. Alertés de cette présence inopportune, les gardiens viennent le chercher pour le ramener dans sa cellule d’où il s’échappe à midi afin de se rendre dans un restaurant proche de la prison. Lorsque l’addition arrive à la fin du repas, Dutilleul téléphone au directeur pour lui demander d’envoyer quelqu’un payer la note. Le directeur en personne accourt au restaurant et c’est sous un flot de menaces et d’injures qu’il ramène Dutilleul dans sa cellule. Ce dernier s’évade alors une dernière fois de la prison avec l’intention de ne plus jamais y retourner.

Ayant appris de ses erreurs passées, Dutilleul décide de modifier son apparence en rasant sa célèbre barbichette, en troquant son lorgnon à chainette contre une paire de lunettes et en enfilant une tenue de golfeur, vêtement bien plus décontracté qu’à son habitude. Il emménage dans un nouvel appartement à Montmartre et mène une vie si rangée qu’il en est presque oublié du public. Blasé par les murs ordinaires qui l’entourent, Dutilleul se met à rêver de l’épaisseur des pyramides d’Égypte projetant d’y partir en voyage pour assouvir un besoin à la hauteur de son talent. Un matin, alors qu’il se promène dans la rue, Dutilleul croise Gen Paul, célèbre peintre, qui reconnait Garou-Garou malgré son déguisement. Alors qu’il veut précipiter son départ pour l’Égypte afin de ne pas courir le risque de se faire pincer, Dutilleul se ravise quelques heures plus tard lorsqu’il tombe amoureux d’une jolie blonde rencontrée à deux reprises l’après-midi même. La femme n’est pas indifférente au charme de cet inconnu. Malheureusement, elle est mariée à un homme brutal et jaloux qui, le jour, épie ses moindres faits et, la nuit, l’enferme dans sa chambre chaque fois qu’il s’absente. Malgré les avertissements de Gen Paul qui connait la sombre réputation du mari, Dutilleul aborde le lendemain la jolie blonde, lui avoue son amour, lui explique qu’il sait tout de la violence de son époux et lui promet de la rejoindre le soir même dans sa chambre. À la nuit tombée, après avoir attendu que le mari quitte le domicile conjugal, Dutilleul traverse tous les murs de la maison pour rejoindre sa dulcinée dans son lit. Les amoureux s’aiment ainsi jusqu’à l’aube.

Le lendemain, de retour chez lui, Dutilleul se trouve assailli de violents maux de tête. Pour soulager ces migraines, il cherche et trouve au fond d’un tiroir des cachets d’aspirine. Il prend deux comprimés dans la journée et le soir arrivé, se rend chez son amante. Au moment de quitter sa bien-aimée, Dutilleul ressent une gêne en traversant les cloisons qui le séparent de l’extérieur : une impression de frottement qu’il n’avait encore jamais connu. Lorsqu’il entreprend ensuite de traverser le mur d’enceinte de la propriété, une étrange résistance s’accentue au fur et à mesure de sa traversée au point de finir par l’empêcher d’avancer. Totalement figé dans la pierre, il réalise alors avec horreur que les deux cachets qu’il a cru être de l’aspirine sont en réalité les cachets de pirette tétravalente prescrits par son médecin un an plus tôt et que, combinés à sa récente suractivité, il vient d’être « guéri », au plus mauvais moment, de sa capacité à traverser les murs. Depuis cette nuit-là, Dutilleul est figé à tout jamais à l’intérieur de la muraille. La nuit, lorsque le bruit de Paris s’apaise, les passants entendent une voix qui semble provenir d’outre-tombe et qu’ils pensent être le souffle du vent. C’est Dutilleul qui pleure la fin de sa glorieuse carrière de passe-muraille et de sa courte vie amoureuse. Certaines nuits d’hiver, le peintre Gen Paul vient consoler le malheureux avec quelques notes de guitare qui pénètrent au cœur de la pierre.

Analyse

Dès la première phrase, Marcel Aymé dévoile immédiatement la nature du récit que le lecteur s’apprête à entamer : Le passe-muraille est une nouvelle fantastique. La révélation de l’élément surnaturel de l’histoire dès l’incipit, n’est pourtant pas commune aux codes de ce type de nouvelles. En effet, traditionnellement une nouvelle fantastique est un récit ancré dans un univers réaliste au cours duquel, en non dès le début, un évènement surnaturel, irrationnel, logiquement impossible, surgit. Cet environnement très réaliste est installé immédiatement après cette révélation en faisant connaissance avec Dutilleul. Il est le personnage principal de cette nouvelle. On ne connait pas son prénom. Il n’est pas non plus présenté comme étant Monsieur Dutilleul. Ce vieux garçon mène une vie des plus monotones sans aucune fantaisie, insignifiante. Son nom fait d’ailleurs penser à une tisane. Il porte immuablement une barbichette, un monocle et un chapeau melon. Sa vie semble millimétrée : il se rend à son travail à vélo sauf, est-il précisé, lorsqu’il pleut. Ses loisirs sont la lecture et sa collection de timbres. Dans son travail au ministère de l’Enregistrement (ministère qui n’a jamais existé en réalité), il est décrit comme quelqu’un de méticuleux — il utilise des tournures de phrases très maniérées –, réfractaire à toute modification dans sa façon de travailler. Il est dépeint comme un être dénué de curiosité et d’imagination. En effet, lorsqu’il découvre qu’il a la capacité de traverser les murs, il se demande à quoi cela va bien pouvoir lui servir, au lieu de s’interroger sur ce qu’il pourrait en faire. Comme il ne trouve aucune utilité à ce don, il demande à son médecin de l’en soulager et porte si peu d’intérêt à sa maladie qu’il oublie rapidement d’en suivre le traitement. À ce stade, Dutilleul a tout de l’antihéros. Un autre marqueur du récit fantastique diffère également dans cette nouvelle. Dans un récit fantastique, le lecteur oscille sans cesse entre une explication rationnelle et une explication surnaturelle des évènements qui surviennent or là, Marcel Aymé trouve par la voie médicale, une explication qui semble rationnelle. Le médecin ne s’étonne pas plus que son patient de cette faculté qu’il a de traverser les murs, trouve une raison médicale à ce phénomène et prescrit le traitement y afférent. Le lecteur a une explication, aussi farfelue soit-elle, à cet élément fantastique. Marcel Aymé rend ainsi réaliste quelque chose qui ne l’est absolument pas.

Comme dans tous les récits narratifs de ce type, la situation initiale dépeinte par le narrateur est troublée par un élément perturbateur. Or paradoxalement, ce n’est pas la faculté de traverser les murs qui vient perturber le récit, mais l’arrivée de Monsieur Lécuyer, le nouveau chef de service de Dutilleul qui déclare qu’il veut réformer le service auquel il vient d’être affecté. On notera que ce personnage est le seul qui est affublé du titre de Monsieur, marquant ainsi subtilement sa supériorité hiérarchique sur le personnage principal. Malheureusement, ce titre n’est que de façade, car si Monsieur Lécuyer a un poste à responsabilités, mais n’a pas l’étoffe d’un chef. Il fait preuve du manque de recul nécessaire à ce type de projet en se perdant dans des détails, s’énervant pour un rien, et il abuse de son pouvoir en humiliant son subalterne. L’auteur dénonce ici indirectement la tyrannie subie par les Français sous l’occupation nazie. Persécuté par ce chef tyrannique, Dutilleul va soudainement trouver un intérêt à sa faculté de traverser les murs : se venger des humiliations subies. C’est cet évènement qui va le transformer en héros et déclencher la suite d’actions, l’enchainement de faits qui vont faire progresser l’histoire. Et lorsque Dutilleul finit par envoyer Monsieur Lécuyer dans une maison de santé, c’est-à-dire un asile, c’est une victoire du plus faible (Dutilleul) sur le plus fort (Monsieur Lécuyer), de l’opprimé (les Français) sur le tyran (l’occupant nazi).

Cet évènement perturbateur survenu, le récit se poursuit par une série de péripéties. En effet, ce don qui n’était jusqu’ici pour Dutilleul qu’un moyen de prendre sa revanche sur son supérieur va très rapidement se transformer en une envie irrépressible de traverser des murs. La vie de cet homme va alors se transformer en un récit rocambolesque. Le jour, il est Dutilleul, l’employé à la vie monotone et la nuit, il devient Garou-Garou, le célèbre inconnu qui joue des tours pendables et se moque des institutions comme celle représentée par le directeur de la prison de la Santé. Ce dernier, dont on ne connait ni le nom ni le prénom, occupe une haute fonction qui laisse supposer qu’il bénéficie d’une bonne position sociale et du pouvoir qui l’accompagne. Pourtant, face à l’indomptable Garou-Garou, il se retrouve totalement impuissant. En exaspérant ce personnage comme il le fait, on comprend que Dutilleul détient un pouvoir plus important que celui octroyé par les codes de la société : la liberté. Avec l’utilisation du champ lexical de l’enfance, Marcel Aymé brosse le portrait d’un Dutilleul devenu un personnage farceur qui nargue avec le soutien du peuple, ceux qui détiennent l’autorité, un peu comme un enfant défierait la maîtresse avec les encouragements de ses camarades de classe. Le personnage de Garou-Garou véhicule une image de liberté qui contraste avec celle de la période durant laquelle est écrite cette nouvelle, celle d’une France soumise au couvre-feu, aux restrictions, à la peur et à la misère. Garou-Garou n’a aucune limite. Il ne peut pas être enfermé et n’a peur de rien. Le public vit au rythme des exploits de ce malfrat et s’enflamme pour ses aventures. Il vit la liberté qui lui manque à travers celle dont Garou-Garou abuse. Ce public contribue à la transformation de Dutilleul en héros. Le pouvoir de ce personnage, dont on ignore s’il s’agit des Parisiens ou de l’ensemble des Français, est tel qu’il provoque par sa ferveur la démission du ministre de l’Intérieur puis celle du ministre de l’Enregistrement. D’une certaine manière, après sa victoire sur Lécuyer, son supérieur direct, Dutilleul parvient indirectement à faire chuter le plus haut poste du Ministère qui l’emploie. Une dernière étape dans le processus de transformation est franchie lorsque le héros décide de changer son apparence physique : Dutilleul disparait alors au profit de Garou-Garou. Il est important de remarquer qu’en surnommant son héros Garou-Garou, l’auteur utilise l’image de la lycanthropie pour illustrer la transformation que subit Dutilleul. Le loup-garou est une image classique du genre fantastique par la peur ancestrale qu’il suscite chez le lecteur. Marcel Aymé en a conservé les caractéristiques (la métamorphose, la vengeance, le caractère inoffensif du personnage avant sa transformation et les hurlements terrifiants), mais en a décalé le champ lexical pour souligner l’immaturité du personnage (un frisson ne rôde pas, un hibou n’a pas de cornes, un poil de loup [un seul], etc.).

On peut également noter que si toutes ces péripéties emmènent notre héros à dépasser ses propres limites d’homme, elles le propulsent également au-delà des limites géographiques du quartier dans lequel il vit. En effet, si le récit se déroule intégralement dans la ville de Paris, il est plus particulièrement situé au nord de la capitale, dans le quartier de Montmartre. Marcel Aymé était le meilleur évocateur du Montmartre de ce début du vingtième siècle. À cette époque, ce quartier était comparable à un petit bout de province. Marcel Aymé, provincial dans l’âme, y a vécu plus de trente ans sans jamais envisager de quitter ce « charmant village, plein de peintres, de vin blanc, d’amitié et de cancans ». Dutilleul, à l’instar de l’auteur, vit dans ce quartier qu’il connait bien. Il n’en franchit les limites au cours du récit que lorsqu’il cambriole et dévalise banques et bijouteries ou se fait emprisonner à la prison de la Santé. Même si cela n’est pas explicitement dit dans le récit, il est notoire pour le lecteur des années quarante, que le grand établissement de crédit, le théâtre du premier cambriolage, et la bijouterie rue de la Paix sont situés sur la rive droite, hors des frontières du village Montmartrois et, qu’à l’inverse, le Crédit municipal et la prison de la Santé sont sur la rive gauche de la Seine. Ce détail géographique sous-entendu est assez symbolique dans la mesure où la rive gauche représente la vie intellectuelle parisienne tandis que la rive droite représente la vie commerciale de Paris (banque, luxe…). Montmartre n’appartient à aucun de ces lieux et semble situé au-dessus de toutes ces considérations d’opposition riches/pauvres, matériel/intellectuel. On retrouve cette exception montmartroise à travers le personnage de Gen Paul. Eugène Paul, de son vrai nom, était un peintre parisien, ami de Marcel Aymé, né en 1895 et décédé en 1975. L’apparition de ce célèbre peintre apporte une touche de réalisme dans le récit au moment où le héros continue sa fuite en avant en fantasmant sur les murs des pyramides d’Égypte. Ce personnage incarne à lui seul Montmartre. Il utilise un langage et un vocabulaire argotique typique de ce quartier, il est bien au fait de ce qui s’y passe et apporte une touche de poésie à la fin du récit. Marcel Aymé restitue par le biais de ce personnage tout ce que Montmartre était à cette époque : Un petit village comme nul autre pareil.

L’élément de résolution du récit est représenté par le coup de foudre de Garou-Garou pour une inconnue. C’est le seul personnage féminin de l’histoire. Elle n’a ni nom ni prénom. On sait seulement qu’elle est blonde et jolie. Ce stéréotype permet de comprendre qu’elle incarne le désir auquel va succomber le personnage principal. Totalement envoûté, Dutilleul perd le peu de raison qui lui reste (fuir la France pour ne pas risquer de se faire attraper) et renonce à son voyage en Égypte. Cette femme est à la fois une source de bonheur, de plaisir pour notre héros et une des sources de son malheur. C’est elle qui va être à l’origine du tragique dénouement qui clôture le récit au cours duquel le héros va devoir faire face à la fatalité de son destin. Dutilleul a utilisé sa faculté extraordinaire pour voler des fonds à son propre profit et pour se moquer ouvertement des institutions. Et pour cela, il va être rattrapé par son destin de la façon le plus tragique qui soit. Lui que personne n’arrivait à incarcérer, finit par se retrouver enfermé au cœur d’un mur par sa propre faute. C’est avec effroi que le lecteur peut imaginer ce que Dutilleul ressent lorsqu’il réalise la situation dans laquelle il se trouve. À l’horreur d’une fin aussi épouvantable, s’ajoute le fait que Dutilleul finit seul. À l’exception de Gen Paul, qui a compris que ce n’est pas le vent que les noctambules croient entendre, mais les lamentations de Garou-Garou, personne ne sait ce qui s’est passé. Lui qui faisait la une des journaux disparait purement et simplement de la surface de la Terre dans le plus grand anonymat. C’est donc à la toute fin du récit que Marcel Aymé renoue avec le dernier élément indispensable du genre fantastique : la peur, le malaise, l’angoisse et la surprise. Tout au long du récit, Marcel Aymé a manié la langue pour apporter de l’humour et de l’ironie, se moquant du jargon médical (la pirette tétravalente, le durcissement hélicoïdal de la paroi strangulaire du corps tyroïde), du jargon administratif (me reportant à votre honorée du tantième courant…) et plus généralement de son époque où tout est compté, millimétré, cadré en parsemant le récit de chiffres superflus (Dutilleul annonce qu’il va s’évader entre 11 h 25 et 11 h 35). Marcel Aymé a emmené son lecteur dans le récit amusant d’une situation plutôt comique avant de le surprendre avec effroi en lui révélant l’horrible fin du personnage.On ne peut lire l’histoire du passe-muraille sans y trouver de multiples références à d’autres genres littéraires, à commencer par les contes traditionnels. En effet, l’histoire du passe-muraille est, comme un conte, un récit court où les personnages, le cadre et l’histoire sont rapidement mis en place pour aboutir à une morale. On y retrouve le traditionnel « il était une fois » dans une forme plus contemporaine sous l’incipit « il y avait » et en ne datant pas précisément l’histoire, Marcel Aymé lui offre une forme d’intemporalité. Le lecteur ne sait pas que l’histoire a été écrite en temps de guerre, mais il peut néanmoins deviner qu’elle se situe au XXe siècle puisqu’on y parle d’électricité, de rubrique de sport et de photographie dans la presse, de la nouvelle tenue de Garou-Garou qui incarne le rêve américain des années trente et quarante et enfin, de la semaine anglaise (le week-end) que les salariés obtiennent en 1936. En revanche, si la morale des contes est souvent explicite, ce n’est pas le cas ici. On ne peut que deviner une morale à cette nouvelle : Dutilleul est puni d’avoir abusé de son pouvoir. Il n’a pas su s’arrêter à temps. L’auteur suggère qu’il faut savoir raison garder c’est-à-dire ne pas exagérer, ne pas dépasser les bornes sinon on s’expose à de lourdes conséquences.Marcel Aymé distille également des allusions à la littérature populaire à commencer par sa subtile référence à la nouvelle La disparition d’Honoré Subrac, écrite par Guillaume Apollinaire. Dans ce récit, Subrac, tombe amoureux d’une femme mariée à un homme jaloux. Alors que ce dernier le poursuit armé, Subrac tente de lui échapper : « M’adossant au mur, je souhaitai me confondre avec lui. Et l’évènement prévu se réalisa aussitôt. Je devins de la couleur du papier de tenture, et mes membres, s’aplatissant dans un étirement volontaire et inconcevable, il me parut que je faisais corps avec le mur et que personne désormais ne me voyait. C’était vrai. » Une fois le mari parti, « (…) instinctivement, mon corps reprit sa forme normale et sa couleur naturelle (…). cette bienheureuse faculté, qui ressortit au mimétisme, je l’ai conservée depuis. » Une autre référence à la littérature populaire est faite par l’auteur lorsqu’il décrit le premier cambriolage de Dutilleul/Garou-Garou. Il est alors fait allusion au célèbre gentleman-cambrioleur Arsène Lupin, personnage inventé par Maurice Leblanc dont les aventures fascinaient Marcel Aymé. Tout comme Arsène Lupin, Dutilleul/Garou-Garou se livre à des cambriolages audacieux et sans violence, à des évasions incroyables, se joue des autorités, emporte l’admiration du public, se transforme en se déguisant et signe ostensiblement ses méfaits. Enfin, une référence aux récits chevaleresques lorsque Dutilleul, éperdument amoureux, n’hésite pas à braver tous les dangers pour conquérir sa belle, adoptant ainsi la posture de preux chevalier décrite par Alexandre Dumas dans son roman Les Trois Mousquetaires. Enfin, on peut relever toute la poésie de cette nouvelle. Même si l’auteur ne fait aucune référence directe au contexte de guerre dans lequel il écrit cette histoire, on peut tout à fait apprécier la poésie de la situation. Dans un quotidien morne et terne, le personnage principal du récit se retrouve soudainement doté d’un pouvoir fantastique qui lui permet de vivre une liberté sans limite. Beaucoup ont témoigné qu’en lisant cette nouvelle chez eux ou au fond d’un cachot, ils se sont pris à rêver de ce qu’ils pourraient faire de cet incroyable pouvoir pour mettre fin à la situation hostile dans laquelle ils évoluaient alors. Si la fin tragique de l’histoire de Dutilleul ramène le lecteur à la dure réalité, Marcel Aymé le quitte néanmoins sur une image très poétique, celle des notes de guitare qui pénètrent au cœur de la muraille comme des gouttes de clair de lune pour consoler le malheureux.